dimanche 8 février 2015

La Tante Marcelle

Je ne sais pas pourquoi, cette nuit, alors que je n'arrivais pas à dormir (peut être rapport à ce que mon fils ronflait quand il ne toussait pas), j'ai pensé à la Tata Marcelle. Pourtant je ne l'ai vu qu'une seule fois, il y a longtemps, et son visage est flou dans mon esprit. 

La Tata Marcelle (il faut prononcer avé l'accent, la Tata Marcelleuh) c'est la Tante de mon papa. C'est ma grande tante, donc. Elle est de la génération de mes grands parents, nés au début du siècle dernier.

La Tata Marcelle, elle possédait une ferme dans le sud de la France. Mais pas une petite ferme hein. Une grande propriété avec des vaches, des veaux, des cochons, des poules et des champs à perte de vue. 

C'était un lieu de vie, avec des ouvriers qui vivaient sur place et des saisonniers en plus pour les moissons. On prenait le petit déjeuner avant la traite à 4h du matin et un casse dalle à 10h après avoir bien travaillé.

J'imaginais tous ces hommes réunis autour de la grande table en bois massif qui sentait la cire. J'imaginais les casquettes, les rires gras, les couteaux qu'on essuie sur la cuisse du bleu de travail, la croix tracée machinalement sur le dos de la miche de pain avant de découper de grosses tranches en mettant de la farine partout. J'imaginais l'odeur de pâté et de saucisson, l'odeur de café et le vin qui tâche. Et la Marcelle avec un tablier à fleur qui s'affairait en cuisine. Mon père me parlait des lits fermés et de la cloison qui donnait sur l'étable qu'on soulevait en hiver "parce que les vaches, ça tient chaud".  

Une maîtresse femme la Tata Marcelle. Une femme qui vivait simplement, avec pragmatisme et humilité comme tous les gens qui travaillent la terre, avec force et caractère pour faire tourner sa maison. Elle était veuve, je ne sais même pas le nom de son mari ni depuis quand il est mort.

En arrivant à la ferme, nous avons croisé le cousin, le fils de la Marcelle, je ne me souviens même pas de son nom. Il conduisait un tracteur, il m'avait beaucoup impressionné avec sa bouche un peu étrange. "Il s'est tiré un coup de fusil, il s'est raté." Une sombre histoire de femme.  

En entrant dans la maison, je me suis figée sur le seuil. Le temps s'était bien arrêté ici, comme je m'y attendais, mais pas à l'époque que j'imaginais. Le mobilier rustique avait fait place au formica. Pas de feu dans l'âtre. Pas de grande table en bois. Pas d'odeur de cire. Seule une vieille TSF avait échappé au carnage.

Les meubles, trop fragiles pour les murs en pierre, donnent l'impression d'être écrasés par la vaste demeure. C'est pour ça qu'elle est un peu courbé la Tata Marcelle. Pas à cause de l'âge, mais à cause du poids de sa maison qui pèse sur ses épaules. 

La Maîtresse femme est devenue une vieille dame.. Elle se comporte comme doit dans ma tête se comporter une grand-mère. Elle me sert un 4 quart Brossard et un verre de Sirop de Menthe. "Pourquoi elle mangeuh pas la petiteuh ?. Reprend une pareuh de cakeuh !". Pourtant j'avais envie de partir. Tout était trop vide, trop écrasé, trop silencieux.

S'il y avait encore une vieille horloge, son tic tac couvrirait le silence gênant qui sied aux gens qui se connaissent peu et n'ont pas grand chose à se raconter.

Loin des rires gras et des voix qui remplissent la pièce, maintenant on vit doucement, silencieusement, comme pour ne pas déranger les souvenirs. 

Plus de vaches, de veau, de cochons. Plus d'ouvriers et de saisonniers.

Que le vide et le silence. 

Ici on est loin de tout. On est isolé de tout.

Et le temps s'est arrêté. 

La Tata Marcelle est partie l'année dernière. Comme elle a vécu, simplement, sans chichi, avec humilité. Comme un point final à la vie de la ferme. Comme la dernière page d'un livre qu'on ferme. Seuls restent les souvenirs de ses enfants, de ses neveux et nièces, de mon père et de mes tantes qui racontent leurs vacances à la ferme.

Je n'ai eu à mon actif que cette visite de courtoisie.

Je n'y retournerais sans doute jamais, je ne sais même pas exactement où elle se trouve.

Mais je n'en ai pas besoin.

Dans mon imagination fertile j'ai emmagasiné des tonnes de souvenirs. Ceux de mon père et certains que je me suis inventés, aussi.

Je garde l'image de la ferme pleine de vie.

Et de la Tata Marcelle en maîtresse femme.

(bon, ça c'est pas la tata Marcelle, c'est ma Mamé, mais on va dire que c'est pareil)

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